JEUX A DEUX – JEUX ABSTRAITS
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé jouer. Avec aussi une particularité, le manque de partenaires. Mes parents, instituteurs dans un village de campagne, étaient plus que très investis dans leur métier et avaient peu de temps hors vacances scolaires . Ma soeur, plus jeune, acceptait de temps en temps une partie, et du coup, ce sont surtout des jeux à deux que j’ai alors pratiqués.
Par ailleurs, ma relation aux jeux dans cette période d’adolescence a beaucoup été « théorique ».
J’ai appris à jouer aux échecs seul, grâce à un coffret spécialisé (aujourd’hui on dirait « un tutoriel »). Et comme ça m’a passionné, j’ai ensuite passé énormément de temps à lire des ouvrages parlant de théorie. Théorie des ouvertures, théorie du milieu de partie. Exercices sur les fins de partie. Je n’ai jamais été un grand joueur d’échecs même si je me débrouille un peu. Mais j’ai été fasciné par cet univers, et par la « beauté » , « l’esthétique » de certains combinaisons.
Ensuite, je suis tombé sur une encyclopédie qui parlait d’autres jeux inconnus jusque là pour moi. J’y ai découvert le GO, l’OTHELLO, et tout un tas de jeux abstraits pour deux joueurs. J’y ai aussi découvert des articles sur le théorie des jeux. J’ai alors très peu pratiqué ces jeux, mais ai continué à m’y intéresser.
Et puis vers 20 ans, c’est la revue Jeux & Stratégie qui a fait irruption dans ma vie. C’est là que j’ai découvert l’univers des jeux de société contemporains. Mais aussi à nouveau des jeux abstraits pour deux joueurs, tels que PENTE, par exemple. Cette revue avait d’ailleurs des pages dédiées aux échecs ou à l’othello. Pages que je dévorais à chaque fois.
En synthèse, j’ai passé beaucoup, beaucoup de temps à m’intéresser à ces jeux abstraits, considérés comme des grands classiques, avant même d’avoir envie de moi-même créer mes propres jeux.
Il est assez clair que toutes ces heures passées à réfléchir sur ces jeux spécifiquement pour deux joueurs auront forgé mon système de pensée, et qu’il n’est du coup pas vraiment étonnant qu’une bonne partie de mes créations soient des jeux pour deux joueurs !
Puis, plus tard, j’ai rencontré les jeux de CLAUDE LEROY (Gyges, Mana), et ceux de KRIS BURM (Gipf, Dvonn pour ne citer qu’eux). Des auteurs de génie, et des jeux qui sont pour moi de monuments.
J’ai par ailleurs eu la chance de pouvoir discuter très longuement avec Claude, et clairement sa vision de la conception des jeux aura été marquante pour moi, et l’aura sans aucun doute guidé.
Au travers de ce parcours, vous comprendrez aisément que, même si j’aime tous les styles de jeux, le jeu abstrait pour deux joueurs représente pour moi la quintessence du game design:
- Il faut impérativement que les régles soient courtes, quasi évidentes
- Il faut que la profondeur de jeu soit énorme
(deux minutes pour apprendre, une vie pour maitriser) - Il est impossible de se « cacher » derrière des artifices tels que thématique et illustrations
Un graal, en quelque sorte. Depuis que j’ai décidé, un jour, de créer mes propres jeux, j’ai toujours eu envie de tenter d’apporter ma pierre à cet édifice. Pour, à mon tour, de partager mon amour pour cette catégorie de jeux sous-estimée.
Et c’est comme ça qu’est né INSERT !
INSERT, COMMENT CA MARCHE
Comme il se doit pour un jeu abstrait, INSERT, c’est super simple à apprendre:
- Le premier joueur place un anneau à sa couleur sur la case de son choix.
- Sur cette case, une ligne impose la direction dans laquelle l’adversaire doit poser son anneau
- et ainsi de suite….
- Mais lorsque tu INSERES un ou plusieurs anneaux à ta couleur entre deux anneaux adverses, tu les retournes !
- Le BUT DU JEU état de faire un alignement de 5 anneaux à sa couleur en vertical, horizontal ou diagonal
En gros la règle tiendrait sur un « dos de boite » de la façon suivante:
Et pour ceux qui aiment les images qui bougent:
INSERT – LA GENESE
Insert est né… il y a plus de deux ans… un matin, au réveil, dans une sorte de demi sommeil.
J’ai « vu » dans un rêve semi-éveillé, ce plateau avec des cases indiquant une direction obligatoire pour le coup suivant.
J’ai « vu » ce plateau se remplissant peu à peu avec des pions aux couleurs des deux joueurs.
Cette vision venue de je ne sais trop où a fini de me réveiller. Et comme j’ai trouvé ça super intéressant, je me suis demandé quoi faire de ce système.
Le système étant simple, très simple, il fallait un but du jeu évident. Créer un alignement à sa couleur, voilà un objectif parfaitement adapté à la situation, et si facilement compréhensible par le plus grand nombre.
J’ai donc commencé à faire des parties « mentales » pour voir ce que ça donnait. Très vite, je me suis rendu compte qu’il fallait autre chose. Parce que si je restais avec uniquement ce système, alors très probablement, une grand nombre de parie allait se terminer sur une partie nulle, sans que personne ne réussisse à créer ce fameux alignement.
Il est devenu très clair qu’il fallait pouvoir, sous certaines conditions, pouvoir retourner les pions adverses à sa couleur.
Forcément, un retournement par encadrement, comme à l’Othello, aurait été possible. Mais… quel intérêt, finalement, de faire un jeu qui n’aurait finalement été qu’une variante de l’Othello. La seule différence se situant alors sur la contrainte de jeu. J’ai cherché. Et mes souvenirs des anciennes lectures de l’encyclopédie évoquées au début de cet article ont refait surface. Un jeu, un vieux jeu abstrait pour deux joueurs, un jeu malgache, s’est rappelé à mon bon souvenir:
Le FANORONA, ou jeu des dames malgaches
Je n’ai jamais joué à ce jeu, mais je me souviens très bien de ma lecture de l’époque. J’ai été intéressé, fasciné par le système de prise: en effet, dans ce jeu, la prise se fait par insertion. Il suffit de déplacer un pion à sa couleur au milieu d’une ligne de pion adverses, et tu prends TOUS les pions adverses. J’avais trouvé ça hyper malin, original, et depuis, je me suis toujours dit que c’était dommage / étonnant que ce système d’insertion n’ait pas été plus utilisé pour des jeux contemporains.
J’ai continué à projeter ça mentalement sur mon système de jeu et… oui il était assez clair que ce système d’insertion pouvait se révéler parfaitement complémentaire de mon idée de plateau initial. Pas de prise ici, mais du retournement de pions. Exactement à l’envers d’un OTHELLO. Une sorte d’OLLETHO, au final 😉
J’ai fait le proto dans la foulée. Les premiers tests ont immédiatement confirmé mon intuition. Il aura fallu quelques parties de réglages pour finaliser la taille du plateau, les directions des lignes, et quelques autres détails, mais le développement aura été super court, avec un jeu se révélant super addictif, quelque soit le profil des testeurs.
Après une ou deux parties, pour simplement se défaire des réflexes liés à l’encadrement et assimiler la technique de l’insertion, les parties s’enchaînent, le plus souvent par 3, 4 ou 5 à la suite.
Mais le plus difficile reste à faire: trouver un éditeur !
SUR LE CHEMIN DE L’EDITION?
Une fois le prototype terminé, j’ai bien entendu eu envie de trouver le meilleur partenaire pour le partager avec le plus grand nombre.
J’ai donc frappé à la porte d’un premier éditeur. Un éditeur avec qui je rêve de travailler un jour. Avec une gamme qui aurait parfaitement pu convenir.
le concept a beaucoup plu. Ils y ont manifestement pas mal joué, et.. j’y ai cru. Et puis au final le verdict est tombé: Ce sera un non, « parce que le jeu est trop exigeant ».
Si je trouve tout à fait logique et légitime qu’un jeu soit refusé, parce que un éditeur n’a pas le coup de coeur nécessaire, ou parce qu’il doute du succès commercial, ou parce que le jeu est trop cher à produire, etc, j’avoue que j’ai été surpris et, oui je l’avoue, un peu agacé du motif « jeu trop exigeant ». Du coup, il faut faire des jeux pas exigeants du tout ??? du pré-mâché???
Mais bon.. c’est ainsi. Cela m’a motivé plus encore pour aller de l’avant.
J’ai alors frappé à la porte d’un second éditeur. Qui, lui, a craqué immédiatement pour le projet et m’a proposé un contrat. Contrat que j’ai signé avec plaisir. Et puis le temps a passé. Passé. Passé encore. Sans que rien ne bouge. Ou plutôt à chaque fois que les choses ont bougé un peu, c’est parce que c’est moi qui ait pris l’initiative. De faire du sourcing pour tenter de trouver des solutions matérielles, pour faire un proto en bois gravé laser, pour faire travailler un graphiste. Le tout à mes frais. Et puis le tempo a passé et la date butoir du contrat a été dépassée. Et j’ai récupéré mes droits.
C’est ainsi que deux années sont passées. Mais elles ne sont pas passées pour rien. J’ai continué à jouer, encore et encore à INSERT. je ne m’en lasse pas. J’ai plus de 500 parties au compteur.
Et surtout, dans l’espoir et l’attente d’une solution éditoriale, j’ai pris une grande décision:
PORTER LE JEU SUR Board Game Arena
En effet, en ces temps où il n’y a plus de festival, où le contact en direct avec les joueurs et les éditeurs n’est plus possible, je me suis dit qu’utiliser la plateforme comme une sorte de salon virtuel pour partager mon jeu avec le plus grand nombre était une bonne idée.
AU moment où j’écris ces lignes, le jeu est en phase de Bêta test, mais va passer en version disponible très vite.
Les premiers retours sont particulièrement bons:
- 700 parties juste sur la journée d’hier
- des commentaires tels que:
« un jeu extraordinaire. Bon c’est un peu convenu de dire ça. Ce qui l’est moins, c’est que, sans exagérer, j’en ai presque eu les larmes aux yeux à la fin de ma première partie. Merci ! »
« You ‘re a genius!!!! what a wonderful game! the more you play the more addicted you get!!!! »
DANS UN PREMIER TEMPS, le jeu sera libre, disponible pour tous. L’occasion pour moi de démontrer son potentiel et son intérêt.
PUIS DANS UN SECOND TEMPS, je le passerai en premium (comme mes autres jeux). Parce qu’il me semble logique qu’après une période de démo, je puisse aussi légitiment recueillir le fruit de mon travail.
EN CONCLUSION:
Comme vous l’aurez compris, INSERT est un jeu qui me tient particulièrement à coeur.
C’est mon Graal à moi, que j’ai envie, besoin, de partager avec le plus grand nombre.
C’est le jeu que je considère comme ma création la plus aboutie. La plus pure. Sans artifice. La plus addictive.
Je suis donc, clairement, à la recherche de l’éditeur qui aura la vraie motivation pour m’accompagner sur ce chemin, et qui nous permettra, ensemble, de montrer que le jeu abstrait pour deux joueurs a encore de beaux jours devant lui.