La relation Auteur – Editeur . Acte II (et je retiens 1)

Note: cet article a fait l’objet d’une première publication sur Tric-Trac en février 2018

 

Lors de l’article précédent, nous avons évoqué, quand, et comment aborder un éditeur.

Pour ce deuxième opus, je vous propose d’aborder les points suivants :

 

1- Les rôles de chacun

2- Le contrat

3- L’après publication

 

Bien évidemment, mes propos correspondent à ma vision du métier, issue d’une part de mon expérience personnelle et de ma conception du métier d’Auteur. Ils  n’engagent que moi, chacun étant libre de ne pas partager mon point de vue.

 

 

1- Les rôles de chacun

 

Il peut paraître étrange de démarrer de la sorte. Parce que l’auteur, il crée le jeu. Et puis l’éditeur, il édite. Simple non ? Il faut croire que ce n’est pas toujours si simple, puisque, lors des deux dernières années, on m’a sollicité successivement pour une note d’intention afin de définir l’état de l’art dans le cadre d’une procédure juridique, et aussi par deux fois comme médiateur dans un moment d’incompréhension entre des auteurs et des éditeurs.

 

Donc, reprenons du début :

 

Publier un jeu, c’est vouloir créer une expérience ludique, au moyen d’un thème, d’une mécanique, et d’un matériel (composants – visuels )

 

En ce qui concerne le Thème :

 

Il faut trouver un terrain d’entente entre l’auteur et l’éditeur, afin que chacun se sente à 200% en mesure de porter le projet avec foi et enthousiasme.

La thématique finale peut bien sûr être celle du prototype initial, ou pas. Elle peut être initiée par l’éditeur, ou pas. Peu importe. Par contre le consensus sur ce point est essentiel à la réussite du projet, car si l’une des deux parties n’y croit pas, ça va nécessairement se sentir sur le projet, et ça ne sera bon pour personne.

Si rethématisation il y a, il est également important (en tout cas à mes yeux), qu’elle soit en parfaite harmonie par rapport à la mécanique du jeu.

 

Quelques anecdotes issues de mon parcours :

  • Five Tribes avait comme thématique initiale l’Egypte antique. Mais la proposition 1001 nuits de DOW m’a immédiatement convaincu
  • Pocket Madness avait comme thématique initiale les 7 péchés capitaux. Là encore, la thématique Lovecraft fonctionnait tout aussi bien avec la mécanique et du coup a été adoptée avec plaisir
  • Par contre, pour SOS Titanic, le premier éditeur à avoir proposé d’éditer le jeu ne voulait pas de la thématique du Titanic. Parce que un jeu avec des gens qui se noie c’est trop triste. La thématique alternative qu’il souhaitait développer, c’était des bus à imperial londoniens qu’il fallait remplir de façon optimale avec les touristes en attente dans la city. Et bien là, moi, je n’aurai clairement jamais été capable de faire, par exemple, une TTTV en expliquant ce pitch en y croyant. Du coup, on a refusé la proposition, pour signer avec les Ludonautes.

 

Il semble donc essentiel qu’un consensus sur la thématique finale soit trouvé AVANT signature du contrat, pour éviter toute tension ultérieure.

 

 

En ce qui concerne la mécanique (et donc la règle) :

 

La mécanique du jeu, c’est très clairement le travail de l’auteur. Tout changement, modification, addition, suppression, doit passer à minima par sa validation.

Cela ne veut pas dire que l’éditeur n’a pas le droit de faire des suggestions, d’apporter ses idées, de vouloir faire évoluer le jeu pour être plus en phase avec tel ou tel type de public.

Cela veut simplement dire que, au premier degré, c’est à l’auteur de mener ce travail, sous la direction de son éditeur. C’est ça le travail de l’auteur, c’est son job, sa responsabilité. Et les droits d’auteur, généralement à hauteur de 8%, correspondent à la rémunération de ce travail.

 

Il arrive régulièrement que l’initiateur du projet ait eu une bonne idée, mais encore insuffisamment développée.

Il peut arriver que cet initiateur ne puisse pas faire le travail nécessaire entre cette idée et l’édition (par manque de temps  et/ou d’idées et/ou de compétences).

Dans ce cas, l’éditeur va devoir prendre en charge lui-même le développement, ou faire appel à un développeur externe pour prendre en charge cette partie du travail très chronophage (80% du temps se cachent dans les derniers 20% nécessaire à la finalisation d’un projet). Il est alors légitime que l’éditeur en tienne compte au niveau des royalties.

 

La règle , c’est le domaine de l’auteur, qui doit cependant rester ouvert à conduire les modifications nécessaires aux besoins / envies de l’éditeur.

Là encore, afin d’éviter toute déconvenue ultérieure, il est préférable qu’auteur et éditeur s’entendent AVANT signature du contrat sur les évolutions à mener, et par qui elles vont être menées.

 

 

En ce qui concerne la réalisation :

 

Là, on est clairement dans le domaine de l’éditeur. C’est à lui de choisir l’illustrateur, d’assurer la direction artistique, et décider de réaliser tel ou tel élément de jeu en bois, en plastique, en carton, pour des raisons entre autre de coûts et tout simplement de ligne éditoriale.

L’auteur a alors un rôle consultatif. Généralement, il reçoit les illustrations au fur et à mesure de l’avancée des travaux, non pas pour commenter en mode « j’aime / j’aime pas », mais plus en mode double lecture, afin de s’assurer qu’on n’est pas passé à côté de quelque chose au niveau de la lisibilité des infos nécessaires à la prise en main du jeu.

J’ai régulièrement été interpelé sur le sujet, certains trouvant anormal que l’auteur n’ait pas plus de contrôle sur ces éléments. C’est pour moi totalement légitime que tout ceci soit du ressort de l’éditeur à 100%.

  • C’est lui qui finance
  • C’est lui qui décide de son image auprès du public
  • C’est lui qui sait comment travailler avec ses partenaires de distribution

Du coup, lorsque la charte graphique de tel ou tel éditeur ne nous plait pas, le mieux, c’est de ne pas lui proposer son travail, puisque de toute façon il est illusoire de penser qu’on pourra la faire changer.

Et si on veut avoir le contrôle sur tout, alors il faut devenir soi-même éditeur.

 

La réalisation (visuels + matériel) est clairement le domaine de l’éditeur.
L’auteur ne choisit pas les graphismes
L’auteur ne choisit pas les composants
Il peut rester une force de proposition discrète et contribue, en mode relecture, à s’assurer qu’aucune erreur n’a été commise.

 

 

En synthèse :

La réussite d’un projet passe par un travail d’équipe, où chacun a son rôle spécifique. Cela ne signifie bien évidemment pas qu’il faille compartimenter systématiquement tout ça : une écoute mutuelle des partenaires au gré des idées de chacun permet toujours d’aller plus loin.

Par contre, ce qui me semble évident, c’est que la plupart des tensions auteur-éditeur naissent parce que beaucoup de contrats sont signés trop vite, sans que les deux parties ne s’assurent qu’ils ont vraiment envie d’aller au même endroit, sans non plus qu’il n’y ait de discussion du travail restant à faire au niveau de l’auteur et de sa capacité à mener ce travail.

C’est pour cela que, en ce qui me concerne, avant de signer un contrat :

  • Il y a d’abord discussion pour décider de la thématique finale du jeu (qu’elle soit celle du proto initial ou pas)
  • Il y a un échange sur les attentes de l’éditeur en ce qui concerne les aménagements de règles à faire en fonction de ses envies, et quelle sera son implication dans ce travail

Cela évite bien des désagréments ultérieurs, en évitant, par exemple, d’en arriver à des abandons de projets parce que, alors qu’on a déjà dépensé beaucoup d’énergie, on se rend compte qu’on arrive pas à travailler ensemble.

 

 

2- Le contrat

Le jour tant attendu est arrivé.

Vous avez présenté un jeu, qui a été retenu par un éditeur. Et cet éditeur vous fait maintenant une proposition de contrat. ALLELUIA !!!

Il est donc temps de savoir sur quoi porter son attention sur ce contrat :

 

Tout d’abord, il ne faut pas avoir peur : Non l’éditeur n’est pas en train d’essayer de vous escroquer, et non, il n’y a pas de traitement de faveur ni de prime à la notoriété. Bref, même sur votre premier jeu, vous serez traité exactement de la même façon qu’un auteur plus expérimenté.

 

 

Charabia juridique :

 

Dans beaucoup de contrats, il y a des paragraphes entiers, probablement écrits par des juristes, auxquels on ne comprend rien. Je reste persuadé qu’on pourrait faire simple et compréhensible.

Oui, je l’avoue, je signe parfois des contrats dont je ne comprends pas réellement certains paragraphes.

Alors je me prends à rêver de contrats écrits de façon claire et limpide… (d’autant que quand tu ne comprends pas le texte en français, imagine ce que ça donne avec le même type de charabia juridique en anglais)

 

 

Evolution des règles – Développements futurs (extensions)

 

Dans beaucoup de contrats, il est naturellement stipulé que tout changement de règle, même mineur, doit faire l’objet d’une validation de l’auteur. Si votre contrat ne l’indique pas, je suggère d’ajouter cette clause. (d’où, d’ailleurs l’intérêt de se mettre d’accord AVANT signature, de là où on veut aller)

 

Un autre point que beaucoup trop de contrats oublient, c’est celui du développement futur d’un jeu. Au risque de paraître choquant, un éditeur DOIT pouvoir continuer de développer une gamme autour d’un jeu à succès, même SANS son auteur initial.

Imaginons un jeu qui fasse un gros succès. Et que pour des raisons diverses (manque d’envie, panne d’idées, incapacité type accident-maladie) l’auteur ne soit plus en mesure d’accompagner les évolutions du jeu. Et bien il est alors réellement problématique pour l’éditeur, qui a investi au début pas mal sur le projet, de se retrouver coincé.

C’est pour éviter ce genre de situation que les bons contrats intègrent une clause indiquant que :

  • Tout développement futur doit prioritairement être proposé à l’auteur initial du jeu
  • Mais que si celui)ci n’est pas en capacité de mener le travail, quelle qu’en soit la raison, alors l’éditeur peut conduire le travail de son côté, en interne ou en faisant appel à un autre auteur, l’auteur initial touchant alors la moitié des royalties malgré tout.

Au final, un bon moyen de sauvegarder les intérêts des deux parties, chacun ayant bien entendu de toute façon à cœur de ne pas en arriver là.

 

 

Durée du contrat

 

Au travers d’un contrat, l’auteur cède à l’éditeur les droits d’exploitation de son jeu sur une durée qu’il convient de bien définir.

Il y a quelques années, les contrats étaient globalement tous sur une durée de 5 ans, avec reconduction tacite en cas de succès.

Aujourd’hui, certains éditeurs préfèrent se rapprocher de ce qui est fait en littérature, c’est à dire enfermer les droits sur une durée de ….75 ans !

Là aussi ça peut choquer, mais c’est en fait très compréhensible :

A nouveau imaginons un jeu qui connaisse un gros succès et pour lequel l’auteur décide, en fin des 5 premières années, de changer de porteur. Dur dur pour l’éditeur qui a plus que contribué au succès. Même si je ne connais pas d’exemple de jeu à succès pour lequel l’auteur ait claqué la porte à son éditeur initial, je peux comprendre que celui qui assure le financement du projet prenne quelques précautions de principe.

Par contre, dans ce cas, il convient au niveau de l’auteur de s’assurer qu’il a une possibilité de sortie si les ventes ne sont pas à la hauteur : il convient alors d’intégrer au contrat un nombre de ventes minium (en nombre de jeux vendu ou chiffre d’affaire) et le tour est joué. Ainsi chacun est préservé de ses intérêts. Tant que tout marche bien, on bosse ensemble, et si les ventes s’effondrent, alors l’auteur récupère ses droites et est libre de pouvoir retravailler plus tard le jeu avec un autre éditeur.

 

 

Date butoir :

 

Il arrive régulièrement que des jeux soient signés et que finalement leur mise en production soit régulièrement repoussée, encore et encore.

Il est donc prudent d’inclure au contrat une date butoir raisonnable (il ne s’agit pas de faire peur à l’éditeur) au delà de laquelle l’auteur récupère immédiatement ses droits si le jeu n’a toujours pas été mis sur le marché. Bien entendu, l’avance perçue n’est pas remboursée et constitue une compensation pour « l‘immobilisation » du projet (tout est maintenant à refaire au niveau prospection d’autres éditeurs … )

 

 

Langues et territoires :

 

Le contrat doit clairement spécifier les langues et territoires que l’éditeur souhaite exploiter.

La plupart des éditeurs vont demander les droits à l’international. C’est compréhensible et en plus pour l’auteur c’est plus simple d’avoir un seul interlocuteur. Il convient néanmoins de s’assurer de la réelle capacité du partenaire à travailler à l’international (pour beaucoup c’est le cas, mais pas pour tous) et, le cas échéant, de limiter les contrats à certains pays afin de pouvoir alors soi-même trouver d’autres partenaires à l’étranger.

 

 

Rémunération de l’auteur :

 

Les éléments qui vont suivre sont à considérer pour une édition CLASSIQUE, c’est à dire sans financement participatif. Bref, je partage sur les éléments dont j’ai l’expérience.

 

Généralement, les contrats proposent des royalties entre 5 et 10% du Chiffre d’affaire de  l’éditeur HT (incluant bien entendu les ventes de goodies – produits dérivés – éléments de jeu upgradés), avec une moyenne autour de 8%.

Si c’est possible, réussir à obtenir une incrémentation des droits au fur et à mesure que les ventes augmentent est un plus appréciable.

Lors de la discussion, il faut bien avoir en tête que, par exemple, accepter 7% plutôt que 8%, ce n’est pas perdre 1%. C’est accepter une rémunération diminuée de 12,5 % !

 

On assiste aussi depuis quelques temps à l’arrivée de nouveaux contrats qui proposent un pourcentage basé non plus sur le CA de l’éditeur, mais sur le prix de vente public estimé. En ce qui me concerne, je n’ai pas réussi à ce jour à obtenir d’explications satisfaisantes permettant de justifier cette évolution.
Elle génère chez moi quelques interrogations parce que:

  • D’une part il n’y a pas de prix public fixe dans les jeux de société, contrairement aux livres.
  • D’autre part, j’aime les relations gagnantgagnant. Et là, lorsque l’éditeur vend ses jeux plein tarif sur un salon ou sur son site internet, il génère un CA plus élevé sur lequel l’auteur ne gagne pas plus. Même si ça ne fait pas une grosse différence à la fin, sur le principe même c’est pas top.

 

En terme de rémunération de l’auteur, le contrat doit également stipuler la part de l’auteur dans le cas où l’éditeur initial cède les droits d’exploitation à un autre éditeur pour certains pays. Généralement, la part de l’auteur est alors de 35 à 50% pour les cessions de license.

 

 

Avance :

 

Il est assez logique que l’auteur perçoive une avance (raisonnable –  quelques centaines à quelques milliers d’euros – dépendant de la taille du projet) non remboursable à signature du contrat. Cette avance matérialise l’engagement de l’éditeur vis à vis du projet.

 

 

Les droits numériques :

 

Un point délicat et souvent ignoré.

En ce qui me concerne, je ne suis pas hostile à discuter des droits numériques, mais je préfère que cela fasse l’objet d’un contrat spécifique à négocier le jour où un vrai projet se présente.

Et en tout cas toute adaptation numérique (que ce soit de type application, ou même site en ligne de type BGA) doit pour moi faire l’objet d’une rémunération de l’auteur.

 

 

Penser aux exemplaires d’auteur :

 

Là, on est sur un aspect moins important que tout ce qui a été discuté avant. Mais il est important, non seulement de définir combien d’exemplaires nous serons attribués, mais aussi de prévoir de pouvoir acheter son propre jeu PRIX COUTANT.

 

 

Voilà les quelques éléments sur lesquels il me semble important de bien s’entendre au moment de la signature d’un contrat. J’en ai peut être oublié, mais j’ai le sentiment que l’essentiel est là.

 

 

 

3- L’après publication

 

Cette fois ça y est..

Non seulement le jeu a tapé dans l’œil d’un éditeur, mais en plus il y a eu contrat, et enfin, enfin ENFIIIIIIIIIN le jeu arrive sur les étals.

 

En ce qui me concerne, le travail de l’auteur n’est pas encore terminé.

 

Il est maintenant temps :

 

  • D ‘animer les réseaux sociaux
  • De répondre aux questions sur les forums spécialisés
  • De participer à des salons
  • D’aller enregistre des vidéos telles que la TTTV
  • De faire quelques animations en boutiques

 

Rien de toute ceci n’est obligatoire ou contractuel.

 

Mais, mouiller un peu le maillot pour accompagner la sortie d’un jeu sera toujours un plus apprécié, et ne pourra que renforcer la relation entre l’auteur, son éditeur, mais aussi avec les boutiques, et bien sûr avec le public.
Mais il ne faut le faire que si on s’en sent capable (tout le monde n’est pas à l’aise avec l’animation. Et si ce n’est pas le cas, mieux vaut laisser les autres faire plutôt que de risquer de véhiculer un sentiment négatif)

 

En ce qui me concerne, en dehors de la création elle-même, c’est le moment de la vie du jeu que je préfère…

alors

On se croise sur un salon ?