Cet article a fait l’objet d’une publication sur le site Tric-Trac en janvier 2018
Préalable : je vous préviens… si vous vous décidez à lire l’article jusqu’au bout, vous acceptez de perdre 20 minutes de votre vie ! 😉
Je suis régulièrement contacté par des auteurs, voire par des éditeurs, pour tout un tas de questions qui concernent toutes, finalement, la relation Auteur – Editeur. Tout un tas de questionnements, légitimes, qui tournent invariablement autour des mêmes thèmes :
– Comment contacter un éditeur
– Comment présenter son travail
– A quoi faire attention sur un contrat
Etc etc..
J’ai toujours répondu, à chaque mail de ce type, en allant même souvent jusqu’à donner des retours très personnel suite à des lectures de règles. Cela m’a valu aussi d’être sollicité pour faire des exposés sur le sujet, en Corée, et aussi lors du festival des jeux de Cannes l’an dernier.
Ces interventions ont, semble-t-il, été assez appréciées. Mais comme vous êtes nombreux à ne pas avoir pu y assister, et comme les mails ne cessent pas sur ce sujet (dans les 15 derniers jours j’ai répondu longuement à 6 nouveaux auteurs), je me suis dit que le mieux était sans doute de partager ici-même avec le plus grand nombre. Certes, tenter de synthétiser ma réflexion va me prendre un peu de temps. Mais en même temps, lors des prochaines sollicitations, le gros fainéant que je suis pourra tout simplement renvoyer au lien sur cet article 😉
Avant de commencer, n’oubliez jamais que ce texte n’est qu’une compilation de conseils issus de mon expérience personnelle, en aucun cas un mode d’emploi à suivre aveuglément. Le mode de fonctionnement de l’un ne sera pas celui de l’autre, et d’une certaine façon, chacun doit aussi trouver le chemin sur lequel il se sent à l’aise.
Le travail de l’auteur, pour en arriver à la signature d’un contrat, comporte deux phases bien distinctes :
1- La phase de création / développement
2- La phase de démarchage
1- CREATION / DEVELOPPEMENT :
Travailler sur son prototype est un moment excitant. Sans doute le meilleur moment du parcours de l’auteur. Dans cette phase, il est son propre maitre. Tout dépend de lui. Il va où il veut, comme il veut, avec qui il veut.
Il fait ses choix, ses tests, ajuste, fait, défait, refait, jusqu’à ce qu’il ait la réponse finale qu’il souhaite.
Par contre, il y a quelques éléments qui me semblent vraiment importants à bien garder en tête:
> Un jeu ce n’est pas simplement une idée:
On peut avoir la meilleure idée du monde, ce n’est pas suffisant. Il faut aller au bout du développement. Mettre en oeuvre son idée. La pousser dans les moindre de ses retranchements. La mettre à l’épreuve de toute sorte de comportements de joueurs. Pour en traquer et en éradiquer les moindres failles, les moindres éléments qui rendent le jeu par moment juste moyen.
Il y a tellement de prototypes qu’aller le plus loin possible sur ce chemin est important AVANT de montrer son travail à un éditeur.
Car on n’a qu’une seule opportunité de faire une première bonne impression.
Imaginez un projet, même prometteur, mais insuffisamment abouti: l’auteur le présente une première fois et, comme ce n’est pas très abouti, l’éditeur va se dire bof… et il va zapper sur un autre projet de quelqu’un d’autre.
Un an plus tard, l’auteur se présente à nouveau. il a travaillé. Cette fois son jeu est génial. Il retrouve le même éditeur. et bien, cet éditeur ne verra pas le jeu génial. Il verra d’abord et avant tout le jeu qui ne l’avait pas séduit un an avant. Le faire changer d’avis demandera une énergie folle.
Il est bien sûr difficile de savoir si un projet est suffisamment abouti. Personnellement, je m’interroge et me prépare en essayant de répondre aux questions suivantes :
– Mon jeu existe-t-il déjà ?
Qu’est ce qui le rend différent
Quelle est la concurrence
– Est-ce que j’ai encore envie d’y jouer moi-même ?
Parce que si pour moi, qui suis porteur du projet, l’intérêt s’est émoussé au bout de quelques parties, autant ne pas aller enquiquiner un éditeur.
Pour convaincre, il faut être convaincu
– Est ce qu’il n’y a pas encore un petit quelque-chose qui gratte, là, parfois ?
Il arrive souvent que, dans la grande majorité des cas, tout se passe bien lors des parties test. Mais que, parfois seulement, on se retrouve dans une situation nettement moins intéressante. Mais ça fait des semaines, des mois, qu’on travaille sur le sujet. Alors comme on a envie d’aller de l’avant, et surtout pas envie de tout remettre en cause, la tentation est de se focaliser sur les 99% qui vont bien. Sauf que…
C’est le 1% qui vous tue (référence à une série célèbre de mon enfance)…
Bref, supprimez les poils à gratter. TOUS les poils à gratter.
-Suis-je bien capable d’expliquer CLAIREMENT mon jeu ?
A l’oral :
On me fait régulièrement des retours sur le fait que mes explications de règles, en particulier lors des TTTV, sont claires. C’est surtout parce que expliquer une règle, ça ne s’improvise pas, ça se travaille. Je profite de mes séances de test, avec plein de joueurs différents (358 en 2017 !), pour, en même temps que j’explique ma règle, observer les réactions des auditeurs, voir ce qui coince, ce qui fonctionne, en essayant de maintenir l’intérêt. Bref, en essayant d’améliorer mon déroulé jusqu’à ce qu’il me paraisse optimal.
A l’écrit :
Même le meilleur jeu du monde peut voir ses chances de succès auprès d’un éditeur réduites à néant si la rédaction des règles est catastrophique.
Je passe sur l’orthographe, qui est la moindre des politesses.(vous n’imaginez même pas ce que je peux voir passer parfois..)
Je parle vraiment de la structure de la règle. Des exemples associés.
Bref, il faut avoir conscience que lire une règle et la comprendre demande un vrai effort à l’éditeur, qui, en plus, en voit passer des centaines.
Tout ce qui permettra d’améliorer son confort de lecture, de faciliter sa compréhension immédiate sera bienvenu.
Nul besoin d’innover: la structure des règles est globalement toujours la même. Mais soigner le texte, sa clarté et les exemples est important. Primordial même.
Quelques conseils :
– N’oubliez pas le but du jeu !!! (si si, ça arrive souvent)
– Préférez un corps de règle le plus synthétique possible en envoyant les cas très particuliers en FAQ en fin de document
– Un même élément de jeu doit TOUJOURS être nommé par le même mot
– Une même action de jeu TOUJOURS avec le même verbe.
– Privilégiez l’image aux longs textes.
– Lorsque ce qui s’explique assez facilement à l’oral devient un casse-tête à écrire, alors il faut probablement changer la règle.
Travailler l’explication des règles, à l’écrit ET à l’oral est primordial.
En synthèse :
Etre auteur, ce n’est pas simplement avoir une idée, même bonne.
> C’est être capable d’aller au bout du développement d’un projet.
> C’est être capable de l’expliquer de façon claire et rapide.
> C’est du travail. Beaucoup de travail.
Pour éviter de se tirer une balle dans le pied, il est préférable de bien rester à l’écoute de la petite voix qui sommeille en chacun de nous et de ne pas se présenter trop tôt.
AVANT L’HEURE, C’EST PAS L’HEURE
2- DEMARCHAGE:
Dans cette phase, l’auteur doit se transformer en commercial de son propre travail.
Cette phase est de loin la plus frustrante. Puisque là, on va certes agir, mais aussi devoir attendre, attendre et encore attendre.
L’auteur va dépendre du désir des autres de travailler sur son projet. Alors il faut travailler sur les façons de susciter ce désir.
Et puis.. généralement, les excellents créatifs sont de piètres commerciaux. Et pourtant il faut ici avoir les deux casquettes.
Pour aborder les éditeurs, il n’y a pas 50 façons. Je n’en connais que 4:
> Le contact direct par mail:
– Ne surtout pas envoyer de prototype, ça ne sert à rien.
– Ne surtout pas envoyer directement la règle, ça ne sert à rien.
– Ne surtout pas dire à quel point la famille-amis-ludothèques-testeurs adorent le jeu.. On espère bien que c’est le cas sinon à quoi bon écrire !!
– Il faut.. donner envie, mais sans survendre..
Pour donner envie un document très simple laissant avant tout la place à l’image avec des accroches fortes (aujourd’hui on dit punchline, c’est à la mode)
> Un format A4, pas plus.
> Quelque chose comme le dos de boite idéal que l’on imagine pour son jeu.
A titre d’exemple, je donne le dos de boite coréen de Kingdomino, qui est exactement mon doc. d’accroche initial.
Regardez: c’est en coréen, et pourtant on comprend exactement de quoi il s’agit.
> Si l’éditeur est interpellé, il va demander la règle (d’où l’importance de la règle…)
> Si la règle continue à lui faire envie, il va appeler le proto.
Et là, de toute façon, le lien est créé.
> Le contact sur les salons / manifestations ludiques:
C’est clairement un bon moyen de côtoyer les éditeurs, en gardant en tête que plus une manifestation est de grande ampleur, et plus le contact sera difficile.
Cependant, si on s’y prend suffisamment longtemps en amont, avoir un rendez vous est assez facile, même pour des auteurs dont c’est le premier projet.
Les éditeurs restent toujours ouverts à la nouveauté, vraiment. D’ailleurs il suffit de regarder le nb de nouveaux auteurs étant publiés chaque année…
Si le rendez vous est obtenu, ou si on croise un éditeur au détour d’une soirée off, là aussi il va falloir être efficace et pertinent.
Il faut avoir en tête qu’il en a vu des tonnes. Qu’il est fatigué.
Bref, il faut lui clarifier la tête. Lui simplifier la vie. Ne surtout pas être insistant.
Ne pas partir dans des tonnes de détails de règle. Aller à l’essentiel. Appuyer sur ce qui rend ce jeu différent des autres de la même catégorie.
Mais le tout sans survendre, sans prétention, avec le sourire, de la bonne humeur et de l’humour, ça aide.
Et puis, même si votre projet ne fait pas mouche , vous avez noué un contact, vous avez obtenu de l’information en retour, sur les envies de cet éditeur dans le futur.
Bref, vous avez développé VOTRE réseau. Et ça c’est toujours positif.
> Les concours:
Pour ceux qui ne peuvent pas trop se déplacer ou ne sont pas très à l’aise dans le contact humain, il y a les concours de créateur.
Aujourd’hui il y en a des tonnes. Pas besoin que je les détaille, ils sont facile à trouver sur la toile.
Une des pistes solides est celle du PROTOLAB organisé par les Festival des Jeux de Cannes. Une belle vitrine pour les jeux sélectionnés, assurément.
Du coup, participer à ces concours peut être un bon moyen d’attirer l’attention d’un éditeur.
Même si ce n’est pas le cas ; ça peut permettre de se conforter dans ses directions.
Les retours que l’on va avoir vont aider à comprendre ce qui marche plus ou moins bien, et peut être à aller explorer des voies que l’on n’avait pas encore envisagées.
Et puis c’est l’occasion de rencontrer d’autres auteurs et pourquoi pas de se retrouver à travailler en binôme sur un projet de l’un ou de l’autre.
> Les agents:
Là aussi, une solution pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer, et/ou qui ne sont pas à l’aise dans les contacts et le travail de commercial de ton travail.
Il faut simplement avoir conscience qu’en passant par un agent, l’auteur ne va pas développer SON réseau. C’est l’agent qui va développer le sien. Et forcément, il y aura de la perte d’information, de façon très naturelle (on a tous une mémoire sélective) entre le rendez-vous de l’agent et le débrief qui sera fait.
Mais encore une fois, c’est sans aucun doute une bonne voie à explorer pour beaucoup. Et un moyen de ne pas rester seul.
Personnellement, je n’exclue pas d’utiliser cette voie dans le futur, pour des projets particuliers. Mais ce qui est sûr c’est que je refuserai alors toute clause qui m’interdirait le contact direct à l’éditeur, une fois celui-ci trouvé, ainsi que toute clause qui m’engagerait avec cet agent pour de futurs jeux avec ce même éditeur.
En synthèse :
Il y a bien des façons d’approcher les éditeurs. Chacun fera son choix en fonction de ses compétences, ses disponibilités et ses ambitions. (Si l’ambition est de s’inscrire dans la durée, alors développer son réseau est sans doute plus important que si on est sur un projet one-shot)
Voilà, c’est la fin de cette première partie.
C’est sans doute un peu brouillon.
Ceux qui ont un peu de bouteille n’apprendront rien, bien sûr, j’espère juste que ça sera utile à ceux qui sont en train de se lancer.
J’ajouterai ici un lien vers un article sur le blog de Bruno Faidutti, qui apporte un éclairage complémentaire sur le même sujet.
Et je ne peux qu’inciter les auteurs qui ne l’ont pas encore fait à s’inscrire sur le site de la SAJ (Société des Auteurs de jeux).
C’est pas cher (15 euros « à vie »).
Ça permet de se fédérer, d’avoir de l’info.
Tout particulièrement, un énorme travail a été mené concernant « comment déclarer ses droits d’auteur », avec mise à disposition d’un pdf synthétisant le tout.
Dans la seconde partie, je parlerai du contrat et de ce qui se passe une fois le contrat signé, avec les rôles respectifs de chacun.